Production de tomates au Sénégal : Un potentiel en jachère

  • Création : 4 juin 2009

Avril 2009, à Niandane et Aéré lao, dans le Podor, les producteurs de la vallée ont dans les bras une quantité industrielle de tomates fraiches qui risquent de se déshydrater et de pourrir faute de moyen d’acheminement jusqu’à l’usine de la Société de conserves agricoles du Sénégal (Socas). Unique cliente et unique société transformatrice de tomates fraiches en double concentrée au Sénégal, la Socas est située à 100 km de la zone. En visite dans le Dagana, à la même période, l’ex ministre de l’agriculture Hamath Sall demande aux responsables de la Socas « d’accélérer le transport de la tomate en souffrance dans les champs. »

Avec une production nationale record de 80000 tonnes de tomates durant la campagne 2008 2009, la capacité de transformation des deux usines de la Socas à Savoigne et Dagana, dans le nord du Sénégal est largement dépassée. Aussi, l’idée de l’installation d’une troisième usine à Podor de transformation de tomates est lancée.
Et pourtant, à en croire Saliou Sarr, membre du conseil d’administration du Cadre national de coopération et de concertation des ruraux (Cnra) et par ailleurs membre fondateur de la filière tomate, le secteur « de l’or rouge de la vallée » est « la mieux organisée » du secteur agricole. Et aussi la mieux protégée. Au premier rang des raisons qui expliquent ce « success story » : la collaboration étroite entre producteurs de tomates et industriel. Un partenariat étroit qui s’est cristallisé avec la mise en place d’un cadre de concertation en 1995, le Comité national de concertation de la filière tomate industrielle (Cncfti). Cette structure faitière réunit les producteurs de tomate, les industriels (Socas) qui sont les membres actifs du comité en plus des fournisseurs, commerçants, consommateurs, les services de l’Etat. Il intervient dans la négociation et la gestion des crédits de campagne. La Société d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal (Saed) en assure le secrétariat. Cette mesure fondatrice a ouvert selon Sarr, la voie du succès à la filière.

Avant chaque campagne, le comité détermine, pour éviter les problèmes de commercialisation, les modalités de son déroulement. Le Cncfti arrête la superficie des exploitations qui oscille annuellement entre 2500 et 3000 hectares, le prix d’achat du kilogramme de tomate fraiche de même que les quantités à produire. Après son visa, les crédits d’intrants sont alloués aux producteurs. De fait, un contrat ferme d’achat est fixé d’un commun accord entre l’industriel, la Socas en l’occurrence et les groupements de producteurs. En retour, les producteurs s’engagent à vendre cette production à la Socas qui met à leur disposition l’assistance technique nécessaire et prend en charge les coûts afférant au transport de la production des champs vers l’usine de transformation. L’unicité du producteur a, selon Sarr, un impact positif sur la sécurisation des débouchés, sur les approvisionnements à dates fixées et sur les crédits octroyés pour la banque. L’ORGANISATION ET LE PROTECTIONNISME : LA PANACEE « C’est la seule filière qui arrive à faire ça aujourd’hui » s’éblouit Saliou Sarr. C’est ainsi qu’ « on est passé progressivement de 20000, 25000, 30000, 50000 pour arriver aujourd’hui à 70000 tonnes collectées et depuis cinq ans, la fourchette de tomates collectées oscille entre 50000 et 70000 tonnes » poursuit M. Sarr.

La Socas travaille avec les producteurs sur la base d’un contrat, dans lequel il est fixé les modalités de paiement ainsi que le prix d’achat bord champs du kilogramme de tomate fraiche. Ce prix a quitté 32,5 francs Cfa le kilogramme en 1995 pour atteindre 50 francs en 2008. Une prouesse dans un secteur primaire sénégalais marqué par une baisse généralisée des prix. Autre motif de satisfaction : après livraison de la production et facturation, la Socas ne paie qu’un mois après. C’est sur cette somme payée au producteur qu’est prélevé le remboursement de crédits de campagne à la banque. Un système de crédit qui est, à en croire M. Sarr : « un bel exemple d’arrangement institutionnel ». L’embellie notée dans le secteur, fruit d’une pluviométrie favorable et d’une bonne organisation a boosté la production portée à plus de 82000 tonnes pour la campagne 2008/2009, soit une moyenne de 35 tonnes à l’hectare. Une production très en deçà du potentiel estimé à 120000 tonnes, si le rendement est porté à 40 tonnes l’hectare sur une superficie de 3000 hectares. Raison pour laquelle Saliou Sarr demande un arbitrage sur les superficies d’autant plus qu’il y a 15000 hectares disponibles.

Seulement, la capacité théorique de transformation de 90000 tonnes des deux usines de la Socas installées à Savoigne (conditionnement en boite) et Dagana (production concentré en vrac), soit 1000 tonnes jours pour chacune, est inférieure à l’offre. Dans ce contexte, souligne Saliou Sarr, l’installation d’une troisième usine, avec toutefois une capacité supérieure à 1000 tonnes, est d’une impérieuse nécessité. Malgré tout, la tomate est arrivée à un taux de rendement plus que satisfaisant de 10 % (contre 3 à 5 % pour les autres filières). Un succès réalisable grâce au programme subventionné d’engrais et de mise à disposition de la filière de quotas.

En outre, le concentré de tomate produit dans la vallée est protégé de la concurrence du triple et double concentré importé par une taxe de 32 % dont 20 % de droit de douanes et 10 % pour la taxe conjoncturelle à l’exportation (Tci). Ce qui rend le concentré importé d’Italie plus onéreux que le concentré produit localement.
Au total, chaque année, la tomate apporte aux producteurs la somme de deux milliards de francs Cfa.

PORTER LE RENDEMENT A 60 TONNES L’HECTARE POUR S’AUTOSUFFIRE ET EXPORTER

Toutefois, la filière tomate souffre d’un problème de fonds découlant d’une courte période de production. En effet, la fourchette de niveau optimal de rendement et de repiquage s’étale de novembre à décembre qui correspond à la période de fraicheur nécessaire au bon développement de « l’or rouge ». Conséquences : la récolte se fait en même temps. La fréquence des télescopages de camions chargés, ajouté au déficit de moyens logistiques causent des pertes dues au desséchement. Résultat : le Sénégal ne s’autosuffit pas car son besoin annuel de consommation est estimé à 18000 tonnes de concentré de tomates, ce qui nécessite une production de 96000 tonnes de tomates fraiches (6 kilogrammes de tomates fraiches donnent 1 kilogramme de concentré de tomates), n’est pas atteint, en dépit de la production estimée à 3000 tonnes de la société Agroline, qui importe du triple concentré pour le transformer en double concentré depuis la libéralisation des importations intervenue en 1994.

L’objectif d’autosuffisance est loin d’être, selon Saliou Sarr, un mirage. Il soutient qu’on peut y arriver, en boostant la productivité dans la vallée jusqu’à 60 tonnes à l’hectare. Il fait également savoir, qu’en faisant des progrès sur les rendements, sur la collecte et en augmentant la capacité de production des unités de transformation, le Sénégal peut espérer atteindre l’autosuffisance et avoir en ligne de mire l’exportation vers la sous région. « La filière n’est pas saturée, elle a de l’avenir. On a un marché régional et sous régional à conquérir et le Sénégal est le seul à disposer dans la sous région d’unités de transformation » renseigne-t-il. Et M. Sarr de préconiser plusieurs pistes de réflexion pour optimiser la production nationale. Il s’agit selon lui de réfléchir sur les voies à emprunter pour récupérer le surplus de production de façon à ne causer de perte ni à l’usine ni au producteur et d’étaler la période de repiquage sur trois mois afin d’amoindrir les risques de semis non favorables. La tomate industrielle étant un produit très périssable. Mais pour cela, le Cncfti doit réfléchir sur la possibilité d’allouer une prime aux producteurs qui sèment lors de ces périodes défavorables. Déjà pour mettre fin aux queues de camions devant les usines de transformation, et aux abattements du prix si la tomate est abîmée, une solution avait été trouvée avec la création d’un grand bassin pour garder la fraicheur du surplus de tomate à la Snti avant sa phagocytose par la Socas.

Parmi les équations à résoudre : celle de la fraude. Même si elle est périodique, car liée au prix mondial du concentré, elle concurrence la production nationale. Dans une interview accordée au journal Walfadjri, Donald baron directeur de la Socas l’évaluait entre 3000 et 5000 tonnes de concentré de tomates par an provenant essentiellement de la Gambie et de la Mauritanie. Du concentré qui n’est pas 100 % naturel et renferme des additifs et colorants.

Un autre problème qui se pose à la filière : l’endettement des producteurs. Un problème du reste global qui se posent à toutes les filières car lié aux accidents de production dus des fois au déficit pluviométrique, à la salinité etc. d’où la nécessité d’aller dans le sens de la mise en place d’un fonds de calamité et d’une assurance agricole, comme indiqué dans la politique agrosylvopastorale du ministère de l’agriculture. En son article 57, il est dit : « l’Etat, en concertation avec les organisations professionnelles agricoles, définit et met en œuvre une politique de soutien aux assurances agricoles, afin de sécuriser les productions, les revenus et les équipements ». Tout est dit mais beaucoup reste à faire.

Source : www.lagazette.sn

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